Claire Sorbac, une Française au coeur du développement du tennis féminin, au sein de la WTA

Le bien-être des joueuses avant tout, c’est ce qui semble être le cheval de bataille de Claire Sorbac, senior manager business development à la WTA. Cela soulève des questions en matière d’équité et d’innovation, que la responsable du développement commercial senior de la WTA décrypte pour Women Sports. PROPOS RECUEILLIS PAR JIMMY ABOU AKL. Extrait du WOMEN SPORTS N°29.

WOMEN SPORTS : QUEL A ÉTÉ VOTRE PARCOURS PROFESSIONNEL, VOS MOTIVATIONS DE TRAVAILLER POUR LA WTA ET VOTRE ÉVOLUTION EN SON SEIN ?

CLAIRE SORBAC : J’ai grandi en France, à Paris, jusqu’à mes 18 ans, avant de partir à Pékin en Chine, dans le cadre de mes études. Durant mes 8 années là-bas, j’ai eu la chance de pouvoir travailler sur le tournoi du China Open en 2014, ce qui a été ma première expérience professionnelle dans le milieu du tennis. Un an plus tard, j’ai eu la possibilité d’y travailler une nouvelle fois, et j’ai découvert un univers qui me plaisait beaucoup. C’est en octobre 2018 que j’ai définitivement rejoint la WTA, au moment où les WTA Finals ont déménagé à Shenzhen, après plusieurs éditions à Singapour. Aujourd’hui cela fait 5 ans que j’ai rejoint la société et travaille sur le développement commercial dans la région Asie-Pacifique, bien que j’ai dû quitter la Chine pour les États-Unis en rai- son du Covid. Je travaille également en- core sur les WTA Finals, qui est le dernier tournoi de l’année réunissant les 8 meilleures joueuses mondiales. Mon rôle est de trouver et de négocier des opportunités de sponsors et de partenariats afin de les implémenter pour le tournoi. Le poste que j’occupe se nomme « Senior Manager Business Development » dans lequel je travaille en équipe, mais aussi de manière très rapprochée avec le président de la WTA (Steve Simon, ndlr).

QUELLES SONT LES INITIATIVES MAJEURES QUE VOUS AVEZ PRISES, OU AUXQUELLES VOUS AVEZ CONTRIBUÉ AFIN DE DÉVELOPPER LE TENNIS FÉMININ ?

À vrai dire, nous travaillons main dans la main avec mon équipe et ce n’est donc jamais le succès d’une seule personne. Nous avons eu la chance d’accueillir notre nouveau partenaire Hologic, début 2022, qui est une société spécialisée dans le domaine de la santé de la femme (diagnostic, imagerie et chirurgie). Ce deal était historique pour la WTA d’un point de vue financier, mais également social puisqu’il constitue une aide majeure pour nos athlètes. Nous avons aussi eu la joie d’accueillir un partenaire médical, Modern Health, qui est une application proposant des consultations pour la santé mentale. Nous sommes également devenus partenaires avec Whoop, qui propose des bracelets connectés aidant à suivre la récupération, le sommeil, les entraînements et la santé. Un objet très utile pour les athlètes qui sert de coaching personnalisé en hygiène de vie. Enfin, nous avons eu la fierté de nous associer avec Morgan Stanley en mars dernier, une société de services financiers. Ces dernières années, nous traversons un momentum intense et riche grâce à de nombreux partenariats qui permettent d’œuvrer pour le bien-être des joueuses, mais aussi de faire grandir le circuit dans son ensemble.

AMANDA ANISIMOVA, JOUEUSE AMÉRICAINE, A RÉCEMMENT ANNONCÉ UNE PAUSE DU CIRCUIT EN RAISON DE PROBLÈMES LIÉS À SA SANTÉ MENTALE. VOUS CONFIRMEZ DONC QUE LA WTA PREND CE SUJET AVEC UNE HAUTE CONSIDÉRATION DANS L’ACCOMPAGNEMENT DES JOUEUSES ?

La santé mentale a longtemps été un su- jet tabou, avant que la parole ne se libère ces dernières années. Il y a également l’exemple de Naomi Osaka, qui avait publiquement fait part de ce type de soucis. La WTA a mis en place des services extrêmement précis et disponibles pour les joueuses. Celles-ci ont à disposition une cellule d’aide à la santé mentale qui se déplace et les suit tout au long de l’an- née lors des tournois. Pour nous, c’est extrêmement important que les joueuses puissent avoir accès à ces services de façon continue et rapprochée, et avec les mêmes interlocuteurs. Car tout le monde n’a pas l’aisance de s’exprimer face à des inconnus. Cette cellule se nomme « WTA Performance Health » et elle regroupe l’ensemble des services de santé offerts aux joueuses. C’est une équipe qui prend donc en charge la santé mentale, mais également la santé physique des athlètes. Les objectifs de cette cellule sont de les aider à minimiser les blessures physiques, et de promouvoir leur sécurité, santé et bien-être pour une performance optimale. Elle se compose de professionnels de la médecine autant sur l’aspect physique (masseurs) que mental (psychologues) qui suivent les joueuses sur les tournois, et qui est disponible à tout moment de l’année pour elles.

LA PLUPART DES JOUEUSES FRÉQUENTENT-ELLES CETTE CELLULE ?

C’est en fonction de la personnalité de chacune. Certaines auront plus de facilité à s’ouvrir et à partager des informations personnelles. Elles s’y rendent régulière- ment, se confient, et voient cela comme un suivi régulier à l’année. La vie d’une joueuse de tennis professionnelle est très éprouvante, notamment en raison des voyages incessants aux quatre coins du monde. Il n’est donc pas anodin que certaines d’entre elles aient besoin d’un « sas de décompression ». D’autre part, il y a une partie des joueuses qui ne souhaitent pas se livrer, ou qui possèdent déjà un coach mental engagé dans leur équipe personnelle. Cela dépend donc de chaque profil et de sa sensibilité. Toujours est-il, il est extrêmement important pour la WTA de proposer les ressources nécessaires aux joueuses afin de les accompagner et les aider non seulement sur le plan physique, mais aussi mental.

L’ÉQUITÉ EST AU CŒUR DES COMBATS DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, NOTAMMENT EN CE QUI CONCERNE LA RÉMUNÉRATION. COMMENT LA WTA S’ENGAGE-T- ELLE DANS CETTE LUTTE ?

C’est une bataille que l’on mène depuis la création de la WTA, soit 50 ans. L’égalité des gains est une chose que l’on souhaite avoir, et qui devrait être normale. On est conscient qu’il y a eu énormément de travail effectué à ce niveau-là, et ce depuis 1973 lorsque l’US Open fut le premier tournoi à garantir une équité dans les gains. À notre niveau, nous travaillons de manière très rapprochée avec les tournois et essayons de faire de notre mieux. Pour certains, l’égalité des gains n’est plus une question, pour d’autres il reste encore du travail. Le fait que les 4 Grands Chelem aient proposé une rémunération égale a été très important car ce sont les tournois les plus iconiques et représentatifs de notre sport. Pour ce qui est des catégories de tournois inférieurs, nous étudions la question et travaillons activement pour trouver des solutions. Mais c’est un travail de longue haleine, il ne faut pas se le cacher.

NOUS AVONS APPRIS QUE LE PRIZE MONEY DU TOURNOI ATP DU MASTERS 1000 DE ROME ÉTAIT 2 FOIS SUPÉRIEUR À CELUI DU TOURNOI WTA CETTE ANNÉE. AVEZ-VOUS UNE EXPLICATION ?

Les droits TV ont un rôle important dans la manière dont le Prize Money est calculé. Nous nous battons à ce que les montants des hommes et des femmes soient équivalents, mais il faut aussi voir la ré- alité en face car nous ne sommes pas sur les mêmes budgets. Certains revenus que le tournoi va recevoir, par exemple les droits TV, seront plus importants chez les hommes que chez les femmes, et cette réalité s’applique donc dans le calcul des Prize Money. De notre côté, nous essayons de changer cette réalité et travaillons au contact de l’ATP pour également faire évoluer cela, mais ces modifications prennent du temps.

NÉANMOINS, ÊTES-VOUS D’ACCORD POUR DIRE QUE LE TENNIS FÉMININ POSSÈDE DE L’AVANCE SUR LA PLUPART DES AUTRES SPORTS EN TERMES DE GAINS, DE POPULARITÉ, DE NIVEAU ?

Bien sûr ! Billie Jean King, qui a fondé la WTA en 1973, a fait de l’équité dans le sport son combat quotidien et cela a été très important. Et il est vrai que le tennis a été le premier sport à œuvrer pour une rémunération égale, pour que les femmes soient représentées comme il se doit et qu’elles gagnent ce qui leur était dû. Également, nous avons eu la chance d’avoir bon nombre d’ambassadrices qui ont lutté pour les droits des femmes dans le tennis, à l’instar de Martina Navratilova, qui s’est battue pour la cause LGBT. Il y a évidemment les sœurs Williams, qui sont des icônes et qui ont eu un impact allant au-de- là du tennis. Du fait de leur histoire personnelle, leur réussite en tant qu’athlètes mais aussi en tant que femmes d’affaires, est porteuse de rêve et d’espoir pour les minorités. Nous avons effectivement la chance d’avoir de grandes femmes qui se battent et aident à promouvoir l’équité dans le sport.

QUELLE EST VOTRE VISION POUR L’AVENIR DE LA WTA, LES PROCHAINES INNOVATIONS ET LES PRINCIPAUX DÉFIS QUE VOUS PENSEZ DEVOIR RELEVER ?

En terme d’innovation, nous travaillons de manière très rapprochée avec SAP, un de nos partenaires, qui nous a permis d’apporter beaucoup de nouveautés et de services aux joueuses. Il nous a permis de développer toute une technologie qui permet d’analyser en profondeur le jeu des joueuses, et d’avoir des données précises. Il y a plusieurs projets en cours avec SAP, avec qui l’innovation avance rapidement. Je ne peux encore apporter de détails, mais le but est toujours de venir en aide aux joueuses et aux tournois, avec notam- ment des solutions technologiques inno- vantes. Nous avons également annoncé en début d’année la création d’une entité nommée WTA Ventures. Cette entité commerciale a pour but de développer le circuit de manière exponentielle. C’est un gros projet pour nous, sur lequel nous sommes très optimistes, mais qui nécessitera beau- coup de travail. Le but étant de développer des projets commerciaux afin d’agrandir notre sport et notre fanbase tout en restant attractifs aux yeux des fans traditionnels, mais également aux nouvelles générations. Dans ce sens, nous poursuivons notre développement digital et proposons du contenu original sur nos réseaux sociaux afin de maintenir un lien de proximité avec les fans. C’est un gros défi, mais nous sommes sur la bonne voie.