Avant dêtre Avocate en droit du sport, Tatiana Vassine arpentait déjà les terrains de sport en tant que joueuse, éducatrice et même arbitre. Son expérience du droit mais aussi de la pratique nous donne un éclairage original sur le rôle particulier de larbitre, ses limites et ses enjeux dans les procédures disciplinaires.
Larbitre nest pas un licencié comme un autre
Larbitre, bien que licencié à la Fédération et payé par celle-ci, se démarque des joueurs, dirigeants, entraîneurs
En premier lieu parce quil est payé par la fédération. Mais il est vrai que certains joueurs et entraîneurs sont également payés par celle-ci. Il suffit pour sen convaincre de prendre lexemple de ceux évoluant dans les collectifs de léquipe de France.
Mais, pour larbitre, le régime est différent puisque, les entraîneurs payés par la fédération bénéficient du statut de salarié (avec parfois quelques spécificités leur permettant de bénéficier de plusieurs contrats (1)) ; les joueurs payés par la fédération le sont, quant à eux, sous couvert dune mise à disposition de leurs clubs (2) (en dehors de périodes de sélection, ils rejoignent les rangs de leurs clubs).
Larbitre, au contraire, est juridiquement détaché de la Fédération. Bien que payé par cette dernière, il dispose dun statut particulier dindépendant qui lui permet de ne pas être soumis à un lien de subordination conformément à larticle L223-3 du code du sport (3) (ce qui évite également à la Fédération de payer des charges sociales sur les rémunérations qui leur sont versées ).
En second lieu, parce que larbitre bénéficie dune mission toute particulière : sassurer de la police du terrain, et, en dautres termes, veiller au bon déroulement des rencontres dans le respect des lois et règlements de larbitrage. Certains diront même quil sagit en quelque sorte dun « officier ministériel » chargé dune « mission de service public » dans la mesure où il bénéficie de la protection allouée aux magistrats, aux officiers de police, aux jurés, ou aux avocats en cas de menaces, meurtres, tortures, actes de barbarie, et autres violences conformément à larticle L.223-2 du code du sport (renvoyant aux articles 221-4, 222-3, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13 et 433-3 du code pénal). En réalité, ce statut ne lui confère en aucun cas la qualité dun officier ministériel mais lui offre, en contrepartie dune mission qui, il est vrai, peut savérer périlleuse, une protection pour le moins légitime. Dautant plus dans le football, où chaque week-end près de 25 000 arbitres sont mobilisés, et où les violences et les injures envers ces officiels sont malheureusement légion.
La parole « suprême » de larbitre : ce que larbitre dira, tu ne contrediras
Un principe gravé dans les règlements
Fort de ces missions, fort de ce statut, larbitre sest vu conférer par les fédérations nationales et internationales un pouvoir des plus redoutables : celui de la parole « suprême » Il faudra certainement minorer cette parabole pour ne pas tomber dans lexagération à outrance, mais lesprit est là. Car dans lesprit des fédérations, la parole de larbitre ne peut (presque) jamais (ou très très très rarement) être contredite. Tout du moins serait-il possible de lenvisager mais seulement avec un attirail de combat « hyper » puissant.
Le mécanisme est le suivant: « Pour l’appréciation des faits, notamment ceux se rapportant à la discipline, les déclarations d’un arbitre, du délégué ou de toute personne assurant une fonction officielle au moment des faits doivent être retenues jusqu’à preuve contraire » (art.128 des Règlements Généraux de la FFF).
Ce mécanisme nest pas sans rappeler celui existant en matière de déclaration des officiers de police. (Art.537 du Code de procédure pénale) (4)
La parole de larbitre mérite-t-elle dêtre contredite ?
La parole de larbitre nécessite dêtre prise au sérieux.
Larbitre, de par son rôle de gestionnaire de jeu, de gardien de la bonne pratique du football est, à ne pas douter, la personne la plus à même dapporter un témoignage présentant des garanties dindépendance, dimpartialité et de fiabilité.
Il est donc bien légitime que sa parole soit entendue et crue (de prime abord).
Cependant, larbitre reste un être humain, ce qui le rend également faillible. Sans penser nécessairement à des cas extrêmes de conflits dintérêts, de volonté de nuire à une équipe ou den privilégier une autre, abus dautorité en tous genres (bien que ces cas ne puissent pas pour autant être exclus) il nest pas déraisonnable de penser que larbitre puisse se tromper. Et que sa parole, aussi importante fusse-t-elle, nécessite-t-elle, parfois, dêtre modérée ou appréciée avec, peut-être, un certain recul de la part des instances sportives.
Quand accorder du crédit à la parole de larbitre ?
Le principe posé par les règlements est que la parole de larbitre est celle à privilégier parmi toutes les autres. Sur un simple rapport de sa part, des poursuites disciplines peuvent être engagées (art. 128 des RG de la FFF).
Il va de soi que, même si les règlements ne le précisent pas, encore faut-il que cette parole ait trait à des faits de jeu et des événements survenus à loccasion de laccomplissement de sa mission.
Ce critère de linstantanéité est primordial puisquil permet de figer à un moment précis linfraction présumée, à un moment où les faits sont encore frais et la mémoire non encore altérée.
Cest la raison pour laquelle, les déclarations consignées sur un rapport darbitre sont, de manière générale, appréciées plus sérieusement que toute autre déclaration.
Dans quels cas modérer la parole de larbitre ?
Il semble cependant nécessaire de pondérer les propos de larbitre dans certains cas
– en labsence de respect par larbitre de ses obligations ;
Il existe comme un contrat tacite entre larbitre et les instances sportives : larbitre, de par ses fonctions, accède à un statut particulier en contrepartie de quoi il sengage à exercer sa mission dans le respect des lois et règlements (notamment ceux ayant trait à larbitrage). Le crédit donné à larbitre ne lest donc que sous réserve du bon accomplissement de ses obligations. Le défaut de respect par larbitre de ses obligations devrait conduire à décrédibiliser ses propos (comme cest le cas pour les erreurs ou manquements des officiers de police qui aboutissent régulièrement à des vices de forme de nature à entacher lacte matérialisant une infraction de nullité). Ce qui pourrait être le cas dun arbitre qui, sans avoir relevé la moindre irrégularité sur la feuille de match, soutiendrait – plusieurs mois après la rencontre – lexistence dune fraude quil expliquerait ne pas avoir relevé avant faute davoir procédé au contrôle des licences conformément à larticle 141 des RG FFF. Sauf à démontrer quil ait été victime dune manuvre particulièrement grave layant empêché davoir pu procéder à cette vérification, il parait bien délicat pour larbitre et/ou les instances sportives de pouvoir sen prévaloir
– en labsence de rapport matérialisant lexistence dune infraction ;
Le rapport est le document phare qui certifie du bon déroulement ou non dune rencontre. En cas de difficulté, il appartient tant aux joueurs, dirigeants, arbitres
de la faire figurer au sein du dit rapport. Si bien quen labsence de déclaration consignée sur ce dernier, il semblerait raisonnable que la parole de larbitre dispose dune valeur probante moindre. Ce qui peut se déduire de larticle 128 des RG de la FFF qui précise que : 1/ les déclarations des arbitres et officiels sont retenues jusquà preuve contraire ; 2/ que, cependant, en labsence de rapport darbitre ou dofficiels, « les commissions de discipline peuvent ouvrir une procédure sur la base de tout élément matérialisant une infraction disciplinaire ».
– en labsence dinstantanéité dans la déclaration de larbitre (qui se prononcerait plusieurs semaines, voire mois, après la commission présumée de linfraction).
Labsence dinstantanéité rejoint labsence dinfraction matérialisée sur le rapport ou la feuille de match. Cependant, il peut être admis quune infraction puisse être dénoncée a posteriori, mais alors dans une limite de temps raisonnable. En effet, pour rappel, les clubs ayant participé à la rencontre disposent dun délai de 48 heures après la rencontre pour déposer des réclamations (5). Rien ne justifie que larbitre, voire même des clubs tiers, disposent dun délai plus important pour dénoncer des infractions. Le principe dégalité des armes et déquité justifierait au contraire que chaque protagoniste soit tenu par le même délai de contestation.
– en présence de preuve contraire. Quest-ce que la preuve contraire ? Les règlements ne précisent pas la nature de cette preuve. Il peut sagir de tout élément. Globalement les éléments de preuve reposeront sur les vidéos du match (très rares au niveau amateur) ou les témoignages des personnes présentes lors de la rencontre. Cependant, bien que la preuve soit libre, il nest pas rare que les commissions fédérales fassent primer la parole de larbitre sur celles des témoins en invoquant toutes sortes de motif, comme par exemple le fait que les témoins aient un lien de proximité avec le club incriminé, ses joueurs ou membres. Or, non seulement il semble pour le moins déplacé de reprocher à une personne poursuivie de faire témoigner des personnes quelle connait nécessairement (à qui dautre demander des témoignages quaux personnes que lon connait directement ou non ?) ; mais en plus, lorsque ces témoignages sont produits en nombre important, apparaissent circonstanciés et précis, rien ne justifie quils soient écartés. Sauf à méconnaitre lesprit des textes qui prévoient que cette parole peut être renversée par la « preuve contraire ». Il nexiste pas de hiérarchisation dans leur valeur probante de sorte quon pourrait même penser quun seul témoignage (en plus de celui de la personne poursuivie) pourrait suffire à renverser parole de larbitre. En tout état de cause, le raisonnement visant à demander à une personne poursuivie de produire des personnes avec lesquelles elle na aucun lien (et donc quelle ne connait pas ou ne peut pas retrouver) ne peut être suivi. Il revient tout simplement à lui demander de fournir une preuve impossible ! Ce qui nest pas acceptable tant du point de vue de lesprit des textes que du principe des droits de la défense.
Prenons le cas dune rencontre qui se déroule sans la moindre encombre, avec une feuille de match signée et validée par lensemble des protagonistes, en labsence dun rapport darbitre (« RAS »), mais au sujet de laquelle, plusieurs mois plus tard, une plainte est déposée par un club rival nayant pas participé à la rencontre mais émettant lexistence dune fraude sur lidentité dun joueur. Imaginons toujours que larbitre, qui est incapable de certifier de la participation du joueur sous fausse identité, finisse par la certifier 3, 4 ou 5 mois plus tard. Que, dans le cadre de sa défense, le club poursuivi fournisse de nombreuses attestations dont celle du gardien du stade qui abrite plusieurs clubs. Il semble raisonnable de penser que, dans une hypothèse de cet acabit, la parole de larbitre soit insuffisante à fonder une sanction.
Léquilibre nest pas toujours évident à trouver. Il est légitime que les instances sportives soient tentées de soutenir les propos darbitres, dont, de prime abord, elles nont aucune raison de douter (dautant plus lorsque lon connait les difficultés réelles des fédérations pour trouver des arbitres ). Cependant, il est également important de garder à lesprit que, faute pour les textes daccorder à larbitre une parole suprême, celle-ci doit pouvoir être renversée par « toute preuve contraire ».
Et il est de lintérêt du jeu, mais aussi de celui de léquité sportive quil existe des système de pondération à des déclarations qui peuvent être sujettes à erreur, voire manquer de fiabilité.
A moins quil ne soit décidé dinstaurer une présomption irréfragable au bénéfice des arbitres, ce qui peut se comprendre pour tout ce qui concerne les faits de jeu mais trouve ses limites dans le cadre des procédures disciplinaires qui doivent respecter le principe des droits de la défense
1 Voir par ex. Raymond Domenech qui était à la fois sélectionneur de léquipe de France, pour une durée de deux ans, et entraîneur national auprès de la Direction Technique Nationale, pour une durée indéterminée.
2 « La participation à l’équipe de France d’un sportif professionnel sélectionné, ou d’un entraîneur, relève de la compétence de la fédération. Ses conditions sont définies en application de l’article 17-II de la loi du 16 juillet 1984.
En principe, elle n’a aucune incidence sur le lien de travail qui unit les intéressés au groupement sportif qui les emploie.
Le sportif, et/ou l’entraîneur, est alors réputé remplir auprès de la fédération une mission confiée par son employeur au titre de ses activités salariées, et pour laquelle il conserve l’intégralité de ses droits de salarié.
La fédération dans ce cas devra s’assurer qu’en cas de blessure le salarié bénéficie au moins de la protection sociale prévue par l’article 12.10.1 du présent chapitre.
Les dispositions de l’article 12.11 ci-dessus doivent être comprises sous la réserve des obligations résultant pour les intéressés de leur participation à l’équipe de France ».
3 « Les arbitres et juges ne peuvent être regardés, dans l’accomplissement de leur mission, comme liés à la fédération par un lien de subordination caractéristique du contrat de travail au sens des articles L. 1221-1 et L. 1221-3 du code du travail. »
En ce sens, Cass. soc., 12 janvier 2010, n° 07-45.210 : « le pouvoir disciplinaire exercé par la FFF était la conséquence de prérogatives de puissance publique destinées à assurer l’organisation de la pratique arbitrale, d’où il résultait que le pouvoir exercé par cette dernière n’était pas assimilable à celui dont dispose un employeur sur son personnel ».
4 « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, ou les fonctionnaires ou agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire auxquels la loi a attribué le pouvoir de constater les contraventions, font foi jusqu’à preuve contraire ».
5 Articles 186 et 187 des RG de la FFF.
Par Tatiana Vassine
Avocate au Barreau de Paris
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