Depuis 2002, la Corée du Sud est une équipe qui compte sur l’échiquier mondial. Cette année là et malgré les moqueries, l’équipe entraînée par Guus Hiddink se hisse en demi-finale de sa Coupe du Monde (co-organisée avec le Japon). 12 années plus tard, les Asiatiques sont toujours là, sous-estimés par de nombreux observateurs. La sélection n’est plus vraiment la même. Presque la moitié des joueurs présents jouent sur un continent asiatique qui ne cesse de s’améliorer. Alors que Heung-min Son – joueur de Leverkusen – semble être le joueur à suivre, c’est Lee Keun-Ho qui compte le plus de sélections (64 comme Park-Chu- Young). Focus sur un attaquant (encore) méconnu n’ayant jamais connu les joies du football européen pour privilégier son service militaire.
La Corée du Sud est un pays en froid avec son voisin, la Corée du Nord. Constamment sur ses gardes, la république coréenne joue au poker menteur avec son frère ennemi du Nord. Pour faire face à ce jeu dangereux, il faut entretenir son armée. Pour cela, le pays du matin calme a trouvé la solution : le service militaire. Chaque Coréen de 20 à 30 ans est forcé à s’engager dans l’armée pour une durée déterminée de 24 à 28 mois. Les joueurs de football n’y échappent pas. Le patriotisme est une notion importante en Corée du Sud. En 2012, la décision de Park Chu-Young de reporter son service militaire jusqu’en 2022 est devenue une affaire nationale. Sa place en équipe nationale est contestée.
Pour jauger l’attente du peuple coréen envers l’engagement militaire de ses footballeurs, l’exemple de Cha Bum Kum peut être mis en exergue. Pionner du football local avec 98 buts marqués en Bundesliga dans les années 80, il appuie la décision de l’ex-futur joueur du LOSC. Il devient quasiment un paria avec ce soutien et est contraint de publier un mea culpa. La Corée du Sud est une démocratie, mais la pensée unique semble être la base de cette société. Heureusement pour Park Chu-Young, il reste un pilier de l’équipe nationale. Titulaire incontestable du 11 Coréen, le joueur de Watford sera sur le front de l’attaque durant cette Coupe du Monde au Brésil. Durant des années et à cause de cette donnée, les joueurs sud-coréens se sont peu aventurés hors des frontières asiatiques. La Coupe du Monde 2002 va tout changer. Le pays est en émoi. L’exaltation ambiante pousse le pouvoir à exempter les héros de service militaire ! Une grande première. Park Ji-Sung et Lee Young-Pyo profitent alors de ce cadeau pour s’envoler au PSV et devenir des joueurs importants du club batave. Depuis cette époque, de nombreux asiatiques n’hésitent plus à s’envoler pour l’Europe retardant au plus tard leur service militaire.
La confirmation au Japon au détriment de l’Europe
Lee Keun-ho n’a jamais eu ce privilège. Né en 1985 à Incheon, l’attaquant de la Corée du Sud effectue sa scolarité au collège puis au lycée de Bupyeong, arrondissement de la ville. Espoir du pays, il prend part en 2005 aux Championnats du monde U20 sans participer à une rencontre. Néanmoins, cette expérience lui ouvre les portes du club d’Incheon. L’expérience tourne au fiasco avec seulement 2 matchs et 0 but. Il est transféré au Daegu FC. Là, dès sa 1re saison, il dispute 20 matchs et plante 8 buts. Une sorte de mini confirmation. L’année 2007 est une époque faste pour l’attaquant du pays des matins calmes. Il intègre la sélection A lors de la Coupe d’Asie. Le « joueur à la mode » continue à marquer les esprits. Le 29 juin, il entre face à l’Irak et débloque son compteur avec la sélection nationale. Il devient rapidement la sensation de la K-League. Attaquant technique et intelligent, Lee Keun-Ho est bien plus qu’un simple buteur. Il est également capable de faire jouer son équipe et distiller de nombreux caviars. Sa vitesse lui permet de prendre la profondeur et d’affoler les défenses adverses. La saison suivante, il continue à mettre le feu en Corée du Sud.
Il joue 26 matchs et marque 11 buts. Lee Keun-Ho est lancé et devient un joueur vedette du championnat. Il affole rapidement l’Europe. Au mois de mars, il passe même des tests à Wigan et au Paris Saint-Germain. Lors du mercato d’été, la tentation parisienne atteint son paroxysme alors qu’il s’est engagé avec le Jubilo Iwata (Japon) en avril 2009. Un club historique de la J-League dans lequel Dunga a passé près de trois saisons avant de terminer sa carrière au Brésil. En juin, le Parisien affirme que sa venue est quasi imminente sur la base d’un contrat de 3 ans. Au mois de juillet, le feuilleton se poursuit, mais Alain Roche — boss du recrutement du PSG — botte alors en touche. « Pour l’instant, son arrivée n’est pas à l’ordre du jour. On s’intéresse toujours à lui, mais on n’a pas encore activé la piste. » Finalement, le gamin d’Incheon ne viendra jamais en France (ni en Angleterre à Blackburn, très chaud sur le dossier). Il signe un nouveau bail avec le club nippon.
Au Japon, il va confirmer son statut. Je suis très heureux de jouer à nouveau à Iwata. Je vais faire des efforts pour contribuer à la réussite de l’équipe. J’espère que vous allez m’encourager. L’attaquant confirme son envie. Dès sa première saison, il participe à 24 matchs et plante 12 buts. Un beau ratio. Le 30 juin 2010, il signe au Gamba Osaka. L’année suivante est exceptionnelle pour Lee Keun-Ho. 39 matchs et 17 buts toutes compétitions confondues ! En 2012, il retourne en Corée du Sud dans l’équipe ambitieuse d’Ulsan. Cette même saison, il remporte la ligue des champions de l’AFC face à Al-Ahli (3-0). Une véritable performance pour le gamin d’Incheon, désigné meilleur joueur du tournoi. Cette même saison, il est désigné meilleur joueur asiatique. Lee Keun-Ho n’a plus rien à prouver au niveau footballistique. Pourtant, la carrière du joueur sud-coréen va prendre un virage inattendu.
Militaire avant d’être footballeur
Alors que les joueurs coréens essayent de reporter leur service militaire afin de rejoindre l’Europe, Lee Keun-Ho va crocheter cette idée. En fin d’année, il annonce qu’il s’engage avec l’armée pendant 2 ans. Dans les petits papiers de clubs européens, l’attaquant sud-coréen saborde ainsi sa carrière. Néanmoins, il n’arrête pas le football et joue avec l’équipe militaire de la Corée du Sud, le Sangju Sangmu en K-League qui est loin d’être une équipe phare. Un choix surprenant pour un top-player. Lors de son annonce, le coach d’Ulsan – Kim Ho-Gon – déplore cette perte. Il est simplement indispensable. Il a la capacité de marquer des buts. Pour Lee Keun-Ho, c’est un choix logique. Patriotique jusqu’au bout, il assume totalement son choix. J’ai pris cette décision… C’est le meilleur moment pour moi de faire mon service militaire. Cela ne signifie pas que j’arrête de jouer au football. Une décision peu suivie par les autres sud-coréens. En 2010, l’équipe nationale atteint les 8es de finale lors de la Coupe du Monde en Afrique du Sud. La Corée du Sud s’incline contre l’Uruguay (2-1). Une première pour le pays hors du continent asiatique. Park Ji-Sung – star du pays – insiste pour que les joueurs présents soient exemptés de service militaire tout comme en 2002. Un besoin nécessaire afin que ses coéquipiers puissent intégrer les équipes européennes et faire de la Corée du Sud, une nation phrase du football mondial. Les joueurs ayant une expérience européenne nous rendent plus forts. La fédération coréenne appuie cette idée ainsi que le sélectionneur national, Huh Jung-Moo. Beaucoup de joueurs veulent jouer dans les grands championnats européens. Mais, ils ne peuvent pas en raison du service militaire. Ex-président de la fédération et candidat à la présidentielle, Chung Moon-Joon encourage cette décision.
Roy Ghim, blogueur/journaliste spécialisé dans le football coréen, a bien essayé de percer le mystère. Il s’est confronté à un mur. Porte-parole de la fédération coréenne, Choi Young-Il (55 sélections) a nié l’idée concernant l’exemption du service militaire pour l’effectif de la Coupe du Monde 2010. Pire, il conseille alors au journaliste de ne pas écrire sur ce fameux sujet sensible. Avec l’évolution des mentalités en Asie, chaque discussion frôle la polémique. Pour son enquête, Roy Ghim ira interroger Kim Bo-Kyung, milieu de terrain de Cardiff City. Membre éminent de l’équipe galloise, il a profité de son exemption du tournoi final pour quitter l’Asie et rejoindre l’Europe. Or, lorsque le journaliste l’interroge sur la flexibilité des règles pour que les Coréens puissent intégrer les grands championnats et rivaliser avec les plus grands joueurs, son agent (et interprète) lui demande de ne pas répondre à la question. Une atmosphère tendue autour du sujet rappelant au point de vue émotionnel, les débats franco-français sur les bi-nationaux. Être footballeur professionnel n’est pas encore reconnu à sa juste valeur comme l’explique le retraité Lee Young-Pyo. Il peut faire plus pour son pays en tant que footballeur. Le pays est partagé entre ses valeurs ancestrales et le caractère superficiel du métier de footballeur. Pire, le culte de la performance est le seul moyen de se sortir de ce marasme ambiant. Une médaille olympique peut ainsi sauver des carrières. La troisième place lors des JO de 2012 (et une victoire 2-0 face au Japon) a certainement permis à certains de mieux contrôler la suite de leur carrière footballistique. Une récompense bien plus importante qu’une médaille de bronze.
Les jeunes joueurs rêvent de cette exemption. Ils s’imaginent dans les plus grands clubs européens. Ils ne perdent pas non plus l’idée de gagner une compétition avec la Corée du Sud et d’échapper au service militaire. Ryu Seung-Woo en est l’exemple parfait. Révélation de la Coupe du Monde U20, les clubs européens s’affolent. Le Borussia Dortmund essaye de le recruter. Le gamin est touché et intéressé par le grand club allemand. Néanmoins, il refuse l’offre. « Comme je pense que je ne suis pas encore au niveau, je vais acquérir plus d’expérience (en Corée) tout en cherchant une nouvelle opportunité ». Finalement, il part en prêt au Bayern Leverkusen pour une saison. Son but est d’attirer les regards des clubs européens pour se vendre plus facilement après la Coupe d’Asie 2015. En effet, en cas de victoire, il sera sûrement exempté de service militaire… Cette saison, il aura disputé seulement 2 matchs avec le quart de finaliste de la Ligue des Champions. Une misère. Aurait-il eu plus de temps de jeu à Dortmund ? La question reste en suspens. Song Heung-Min (formé à Hambourg) continue à progresser au Bayer Leverkusen. Les joueurs de la Corée du Sud s’exportent de plus en plus jeunes. Trois ados coréens font partie intégrante de la Masia (centre du FC Barcelone), mais ils ont toujours cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête; le service militaire avant le football. Toujours ambitieux, les Asiatiques développeront sûrement leur vision concernant l’armée. En Israël, le service militaire est obligatoire. Or l’armée et la fédération ont négocié pour définir un quota de joueurs considéré comme d’excellents soldats. Cela leur permet de jouer au football en toute tranquillité. Pourtant, la mise en exécution de ce traité est vicieuse. Pendant les vacances d’été ou à la fin de leur carrière, ils doivent finir leur service. Lee Keun-Ho pourrait être le dernier exemple en date de ce fameux service militaire. Loin d’être favoris, les Coréens vont sûrement mouiller le maillot afin d’éviter, eux aussi, de devenir soldats. L’attaquant originaire d’Incheon n’a pas ce problème. Mais il est l’un des seuls. Pour les joueurs du pays des matins calmes, la Coupe du Monde est bien plus qu’un simple tournoi de football.
Charles Chevillard
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