De retour au Sables-d’Olonne pour réparer, le skipper de Charal est revenu longuement sur sa déception et laisse entrouverte la possibilité de repartir. Dans un témoignage poignant, il rend hommage, aussi, à ses confrères skippers qui sont toujours en mer.
Propos recueillis par l’équipe du Vendée Globe
« Ce qui est dur, c’est la décision de faire demi-tour. Tu sais que tu es forcé de renoncer à ce sur quoi tu t’es concentré pendant quatre ans de préparation. Forcément, sur le coup, c’est très dur. Ce n’est pas plus simple maintenant mais sur le retour, tu te concentres à ce qu’il n’arrive pas plus d’avaries que tu en as à bord, aux collisions éventuelles, à l’arrivée au ponton… On a communiqué avec l’équipe sur les façons de réparer donc tu te concentres un peu sur autres choses.
Maintenant, revoir tout le monde à l’arrivée ça remet une grosse dose d’émotion et ce n’est pas facile à gérer. Tu aimerais être partout sauf là. Tu es heureux qu’il y ait des gens mais c’est un peu triste quand même. Ça donne de l’énergie mais ce n’est pas facile à gérer. N’importe qui ne serait pas insensible à ce qui se passe. La course s’arrête. Peut-être que certains diront que ce n’est que du sport. Mais c’est du sport et j’ai tout investi dedans depuis plus de quatre ans donc le coup d’arrêt est très brutal.
Le début de course n’a pas été facile. Là, les gars et les filles qui sont en mer sont tous méritants parce que c’était très compliqué stratégiquement. Le front était bien violent. Ils sont en train de sortir de là, ils sont au portant et c’est vraiment mérité. Ils ont réussi à passer, ce sont tous des grands marins. Le principal, ce sont ceux qui sont encore en course et tous ceux qui le sont méritent de l’être. J’aurais aimé être avec eux. Alex m’a envoyé un message super sympa ce matin, Fabrice et Armel aussi. J’aurais aimé avoir ma petite bagarre contre eux. Mais tout ça, c’est du passé. Je remercie tous les gens à terre, les gens de Charal, le public.
« Je suis convaincu qu’on va réussir à réparer »
Il faut essayer désormais d’effacer l’émotion, il faut être cartésien. On se donne 24 heures pour checker le bateau, checker les avaries principales, de safran et de barre d’écoute. Dans le choc, il y a eu plein de dommages collatéraux. Dans 24 heures, on aura un état des lieux de tout ce qui est cassé, de ce qui est réparable, de comment ça l’est. J’espère qu’on aura une date dans le laps de temps dont on dispose pour repartir. Si on est capable de repartir, effectivement, on prendra le départ. C’est évidemment l’objectif.
Après on verra comment ça se passera en mer. On repartira si le bateau est réparable : on est toujours dans cette problématique technique. C’est le problème de notre sport, des sports mécaniques. Le marin avec ses dix doigts, il ne peut pas faire grand-chose. Je suis convaincu qu’on va réussir à réparer. Maintenant le diable se cache souvent dans les détails. Les experts, les architectes sont là, on va vite savoir de quoi il en ressort. Oui, j’ai très envie de repartir. Dans ma tête, j’essaie d’être dans cet esprit-là.
« C’est une course dure et quand tu viens, tu le sais »
Si je repars, tout le monde sera 3000 milles devant donc il n’y a plus de course. C’est dur à vivre, je suis passé un peu par tous les états. Je me suis jeté de manière compulsive sur le garde-manger du bord, il n’y a plus de pétales de bœuf, il va falloir recharger ça ! Et puis c’était délicat avec le bateau : ce n’était pas facile de le gérer. Il ne fallait pas que j’aille trop vite pour ne pas continuer à abimer le safran, je n’étais que sur une bastaque et il ne fallait pas que le mât tombe non plus. Et puis j’attendais impatiemment d’arriver à terre.
Je pensais qu’en revenant en janvier, le monde aurait un peu changé. Une semaine après, ça n’a pas beaucoup changé malheureusement. Donc il va falloir être patient. J’ai vécu des trucs tellement beaux et tellement durs que c’est le contraste qui fait que cette course elle est si particulière. Statistiquement, je ne suis pas le mieux loti. Mais la dernière fois, j’ai terminé 3e et il y en aura peut-être d’autres. C’est une course dure et quand tu viens, tu le sais, il n’y a pas de surprise. Quand tu vis des revers comme ça, ce n’est pas agréable du tout. Sur le moment tu veux être partout ailleurs mais pas dans cette situation-là. Mais tu es là parce que tu as bien voulu y être, tu as choisi d’y être et tu sais les éventuels scénarios qui peuvent arriver, dont celui-là. C’est sûr que je n’ai jamais été aussi prêt. Ça me tombe dessus et c’est fini. Il faut arriver à vivre avec, sinon tu ne fais plus ça.
Moi je ne suis plus en mer. Pour l’instant, il y a une superbe course devant, ça navigue vraiment bien. Il faut continuer à encourager ceux qui sont encore en course. Tactiquement, Le Cam a fait du grand Le Cam. Sa course est belle. Moi, sur ce coup, je suis du côté obscur. Mais à nouveau, c’est une affaire de contraste qui ne nourrit pas l’imaginaire mais la réalité de cette course qui est à part. »