L’ancien arbitre de Ligue 1 Tony Chapron, qui avait taclé un joueur mi-janvier lors de Nantes-PSG, sort du silence dans l’émission INTERIEUR SPORT sur CANAL+.
Extraits de son témoignage devant la caméra de Vincent Alix pour Canal+ :
Sur ce match Nantes PSG :
« Peut-être que je ne suis pas prêt à 100%, c’est possible. J’ai une appréhension sur mon mollet, je me dis ‘pourvu que ça tienne’ (il s’est blessé lors de tests physiques à Clairefontaine en décembre). (…) C’était détendu. Le match en lui-même ne posait pas de problème en particulier à gérer. J’ai vécu d’autres matchs beaucoup plus compliqués, celui-ci était classique. Il y a un début de match un peu tendu mais c’est normal : il faut se mettre au diapason les uns les autres. Les arbitres essaient de sentir l’atmosphère du match et les joueurs jaugent un peu l’arbitre. (…) Il y a des histoires de hors-jeu mais moi je ne suis pas trop impliqué.
Globalement à la 90ème minute, je ne dis pas que je suis hyper satisfait mais je me dis ‘J’ai vécu un bon match, je suis content d’être là et globalement ça s’est bien passé’. On entre alors dans le temps additionnel et avec l’expérience tu te dis que ce sont des moments cruciaux. Ça faisait 0-1, c’est un moment important où tout peut encore changer. Donc il faut être hyper concentré. Il y a coup franc pour Nantes je crois, tous les parisiens sont regroupés dans leur surface de réparation et le ballon est ressorti de la surface. Et ça part très vite. (…) Je vois Mbappé courir très vite, sauf qu’il a 25 ans de moins que moi et il va vite. Mon obsession à ce moment-là c’est de le rattraper. Ce dont j’ai peur c’est qu’il se fasse découper. Typiquement c’est celui qui va être la cible d’un mauvais geste ou autre. Donc j’y vais pour le protéger. C’est ça la fonction de l’arbitre : éviter qu’il y ait une faute sur lui et, s’il y en a une, être présent pour la juger. Donc je passe la médiane, je sens que je suis loin. Puis je vois arriver un joueur nantais qui va couper mon champ de vision. Il est devant moi et j’ai peur de le percuter, j’essaie de l’éviter et surtout j’essaie de gagner en champs de vision parce que je sais que MBappé va rentrer dans la surface de réparation et qu’il va dribbler. Je suis lancé à pleine vitesse et là je sens une poussée qui me semble violente, peut-être qu’elle est violente parce-que je vais vite et parce que le joueur va vite aussi. Je tombe, je roule sur moi et quand je me relève je vois un genou m’arriver vers la figure et quand je le vois arriver j’ai la sensation d’avoir été poussé violemment, ensuite j’ai mal et puis j’ai peur. (…) J’ai un réflexe, qu’on pourrait dire stupide, mais j’ai un reflexe humain. Je fais complètement abstraction de mon rôle. J’en sors le temps d’une fraction de seconde et quand je m’en rends compte c’est trop tard, le mal est fait. Je m’en rends compte tout de suite, dans le seconde d’après je me dis ‘qu’est-ce que j’ai fait ?’. Et après je lui mets un carton jaune, je suis incohérent. Si je me sentais menacé c’est un carton rouge. Mais là je suis dans un entre deux, je flotte, je ne sais pas trop où je suis. A ce moment-là, je perds ma lucidité. Je me souviens de Thierry Gilardi qui dit « pas toi, pas toi, pas maintenant, tu ne peux pas faire ça là, pas toi Zizou ! ». Ces mots de Gilardi ont résonné dans ma tête avant qu’on termine le match. »
Son analyse, avec le recul :
« Construire un match c’est comme construire un petit château de cartes. La dernière que tu mets c’est ton coup de sifflet final en espérant que rien ne s’effondre. Moi, il y a un double effet, le match et toute ma carrière. J’ai construit un énorme château de cartes et en une seconde toutes les cartes sont tombées. Et je l’ai senti, j’ai senti le poids de mon erreur. »
Sur ce les moments qui ont suivi le match :
« Je pense que si j’ai le feu vert pour aller m’exprimer devant la presse, j’y vais, j’explique et je pense qu’on n’a plus le même ressenti. (…) J’aurais dû, avec mon expérience, m’affranchir de cette règle et y aller spontanément. Je suis resté dans les clous à ce moment-là. Une fois que le rouleau compresseur médiatique est lancé, c’est trop tard pour parler. Quand on repart à l’hôtel, j’ai conscience que ça va être compliqué dans les jours qui vont suivre.
(Après avoir regardé les images dans le salon de l’hôtel), je suis conscient d’avoir fait une énorme erreur. Je ne mesure pas encore les conséquences mais je sais qu’elles vont être dramatiques pour ma carrière, enfin ce qu’on va retenir de ma carrière… Dans 5 ans, vraisemblablement, on m’en reparlera. J’aurais fait 1500 matchs dans ma carrière mais on ne me parlera que de cette action-là. Une fraction de seconde, un réflexe idiot, mais humain, que tu portes comme une croix. »
Sur les réseaux sociaux :
« J’ai bien conscience qu’il y a eu un déferlement médiatique incroyable, je l’ai déjà vécu mais pas dans de telles proportions. A la lecture des messages que j’ai reçus, j’ai compris ce qu’on appelle le lynchage. Là, tu n’as qu’une envie c’est rentrer chez toi, fermer la porte et ne plus ressortir avant un moment. Je me suis mis dans une coquille. Une coquille d’abord familiale, j’avais besoin d’être seul, avec ma famille, ceux qui me sont proches, me ressourcer et aussi les protéger. Cet isolement c’est une sorte de thérapie, se protéger soi et faire le bilan de ce qui a été ma carrière aussi. »
Sur sa fin de carrière avortée :
« Quand on part à la retraite et qu’on l’a décidé personnellement, on peut programmer la fin. Il y a une sorte de rituel chez les arbitres, sur le dernier match on peut demander à aller arbitrer un match en particulier. Et quand j’ai annoncé mon départ à la fédération et que j’ai vu les dirigeants de l’arbitrage, je leur ai demandé une chose c’est de pouvoir terminer ma carrière à Caen. Parce que je suis originaire de la région et que dans ce stade j’ai des fantômes d’amis que j’ai perdu et qui étaient des supporters du stade malherbe de Caen et j’ai des personnes qui m’ont aidé dans l’arbitrage que je voulais remercier, inviter à l’occasion de ce match. Et donc quand j’ai pris conscience que ce ne serait pas possible ça a été un déchirement fort. On ne m’a pas enlevé ma fin de carrière, on m’a enlevé autre chose, de plus intime. »