Laurent Delcourt, sociologue et historien spécialiste du Brésil, explique les raisons poussant les Brésiliens à manifester, parfois violemment. Mais il se veut optimiste sur la bonne tenue de la Coupe du monde.
Quelles sont les raisons de la colère des Brésiliens ?
Laurent Delcourt : Les motifs de mobilisation sont multiples et il est difficile de les hiérarchiser. Le premier est le rejet de l’ingérence de la FIFA. Elle a par exemple mis en place une zone d’exclusion autour des stades d’environ 2 kilomètres qui exclut les vendeurs à la sauvette, pour protéger ses sponsors. L’instance va aussi bénéficier d’avantages fiscaux : des sponsors ne vont pas payer certaines taxes. Il y a eu beaucoup de pression pour s’accorder avec le cahier des charges et finir les travaux. Et huit ouvriers sont décédés quand il a fallu accélérer la cadence…
La FIFA n’est pas la seule à être prise pour cible toutefois…
Il y a bien sûr ces dépenses colossales pour le Mondial qui sont critiquées. Des dépenses jugées comme complètement inutiles parfois. A Manaus, en pleine Amazonie, un nouveau stade a été construit, alors que l’équipe locale ne réunit environ que 10 000 personnes en moyenne. Ce sont des infrastructures qui ne seront plus utilisées comme il se doit après la compétition, comme cela a été le cas en Afrique du Sud en 2010. Cet argent aurait pu être investi pour les transports publics, dans le secteur de l’éducation ou de la santé… Il y a le sentiment au Brésil que c’est le contribuable qui va financer l’essentiel du Mondial, dont quasiment tous les bénéfices iront dans les poches de la FIFA et les sponsors qui lui sont liés. Les gens protestent aussi contre les expulsions causées par les travaux pour le Mondial, ou également contre l’accélération et le durcissement du programme de pacification des favelas et des bavures qui en ont découlé. Le Mondial est aussi une aubaine pour les syndicats (transports, enseignants…) pour revendiquer une augmentation de salaire très bas et de meilleures conditions de travail.
Cette contestation est-elle récente ?
Les actions sont davantage relayées que celles ayant eu lieu en Afrique du Sud il y a quatre ans. Les médias focalisent peut-être plus leur attention car il s’agit du Brésil et les gens sont un peu surpris. Michel Platini le premier si on en croit ses récents propos… C’est une violence toutefois assez quotidienne au Brésil. On met l’accent dessus car le Mondial approche et cet événement sert de loupe sur ce qui se passe tous les jours. On assiste depuis des années à des expulsions ou à des scènes de violences urbaines.
Peut-on imaginer que la Coupe du monde sera perturbée ?
La présidente Dilma Roussef a déclaré que les manifestations pacifiques seront tolérées pendant le Mondial. Les éclats de violence largement évoqués mais minoritaires seront donc sévèrement réprimés. 150 000 policiers et militaires supplémentaires seront déployés pour assurer la sécurité, ce qui ne sera pas sans coût. Il n’y aura pas de mouvements perturbateurs ou d’atteinte à la sécurité des joueurs une fois la compétition lancée je pense. Tous les acteurs ne protestent pas contre le Mondial, mais contre son coût, les conditions d’organisation ou la FIFA. Certains sont réticents à bloquer la compétition, ce qui troublerait l’image du pays et du gouvernement en place. Les principaux syndicats ont appelé à ne pas manifester, ou alors de façon pacifique, durant la compétition, par exemple. Les groupes voulant la perturber sont très minoritaires.
Propos recueillis par F.S