A l’occasion de la sortie de ses deux derniers livres, « Cols de légende : 20 cols qui ont marqué l’histoire du Tour de France » et « Victoires de légende : Les 25 victoires françaises qui ont marqué l’histoire du Tour de France », parus dans toutes les librairies le 25 août dernier aux éditions Amphora, le journaliste passionné Nicolas Geay, qui couvre le Tour de France depuis 2006, nous a fait l’honneur de nous accorder une interview pour parler vélo. Au programme : des souvenirs marquants, des anecdotes amusantes et une fine analyse sur Julian Alaphilippe, la coqueluche du cyclisme français.
La chaleur de l’été, les panoramas, les longues siestes devant la télé, le spectacle et les ascensions endiablées en montagne… Tant de mots que l’on associe naturellement au Tour de France, épreuve la plus prestigieuse de la Petite Reine, que les amateurs de vélo ou simple curieux attendent chaque année avec impatience. Le Tour de France, c’est aussi Nicolas Geay. Le journaliste, qui couvre l’événement depuis 2006 pour France Télévisions, est une des voix les plus emblématiques de la Grande Boucle. Sportif accompli et triathlète chevronné, ce passionné de cyclisme, connu pour sa sympathie et sa bienveillance, a fait honneur à sa réputation en nous accordant une interview. Entre souvenirs du Tour de France et l’exploit de Julian Alaphilippe, décoré du maillot arc-en-ciel de champion du monde à Imola en septembre dernier, replongez-vous, sans plus tarder, dans cette saison 2020 de cyclisme avec l’œil expert de Nicolas Geay.
A titre personnel, quelle est la victoire de légende qui vous a le plus marqué parmi la sélection qui figure dans votre livre ?
J’aurai tendance à dire celle de Sandy Casar (étape du Tour à Angoulème, en 2007), peut-être un peu moins légendaire que les autres victoires, mais je choisis celle-là pour tout ce qu’elle représente avec notamment les années sombres du dopage. J’aurai pu faire la même réponse avec Moncoutié mais mon cœur penche pour le premier. Je trouve que c’est une belle histoire d’abnégation pour ce coureur qui n’a pas eu la carrière qu’il aurait voulu. Malgré sa chute en début d’étape, il arrive à trouver la force nécessaire pour se relever et au final l’emporter. C’est quelqu’un dont on n’a pas forcément beaucoup parlé et je trouve qu’il y a beaucoup de valeurs dans cette grande victoire.
Avant de devenir un grand journaliste, vous êtes avant tout un sportif accompli, passionné de triathlon et de cyclisme. Parmi tous les grands cols du Tour que vous avez arpentés, quels sont vos préférés et ceux où vous avez le plus galéré ?
Je dirai le cirque de Troumouse qui j’ai trouvé absolument magnifique dans les Pyrénées, conseillé par Martin Fourcade en personne ! Difficile aussi de ne pas citer le col de l’Izoard que j’ai arpenté lors du triathlon d’Embrun et qui est tout simplement une merveille. Pour ceux où j’ai le plus souffert, ça dépend beaucoup de l’état de forme que j’avais mais là comme ça je dirai le Tourmalet où je n’ai jamais été vraiment à l’aise. Le Mont du Chat et le Ventoux sont extrêmement durs aussi. Ce n’était pas une partie de plaisir.
Vous couvrez le Tour de France depuis 2006. Parmi la multitude d’interviews que vous avez données en 14 ans de carrière, quelles sont celles qui vous ont le plus marqué ?
Sans hésiter celle de Jean-Christophe Péraud en 2014, à retrouver d’ailleurs dans « Cols de légende », où je lui annonce qu’il est deuxième du Tour de France et qu’il fond en larmes. Je lui avais appris la nouvelle, il était exténué après le contre-la-montre de Périgueux et il avait été submergé par l’émotion. C’était un moment très fort.
Avez-vous une anecdote amusante ou insolite à nous raconter à propos d’un coureur ?
Quand j’étais sur la moto, il y avait toujours des moments sympas avec les coureurs qui saluaient la caméra ou qui faisaient des grimaces marrantes. Ce sont des images courantes. Il y a toujours une super ambiance dans le peloton. Sinon j’ai une anecdote de tournage assez amusante. Il y a 3/4 ans, on faisait un grand format sur Julian Alaphilippe avec les équipes de France TV. Il nous avait demandé de mettre à fond la musique « C’est bon pour le moral » de la Compagnie Créole (rires). J’avais mis la vidéo sur Twitter d’ailleurs. On le voit sautiller sur le vélo en étant en danseuse, une main sur les cocottes, ce qui est quasiment impossible pour le commun des mortels. Danser comme ça, faire le con comme il le fait sur une sortie de 8 heures avec 290 kilomètres (rires), c’est ce genre de moment que je retiens.
Comment avez-vous vécu l’incroyable victoire de Julian Alaphilippe aux championnats du monde à Imola, en Italie ?
C’est marrant parce que je suis en plein dedans. J’évoquais le sujet pas plus tard qu’hier avec Julian puisque nous avons passé la soirée ensemble. Malheureusement ou pas, j’ai vécu son titre mondial de l’extérieur. Ma femme était enceinte, sur le point d’accoucher, donc j’ai préféré ne pas me rendre à Imola par prudence. Je suis resté chez moi et j’ai suivi l’événement devant ma télé avec passion, à crier et à l’encourager. Là pour le coup, c’était plus le fan de vélo qui vibrait, étant donné que je n’ai pas pu être sur place avec l’équipe de France. J’ai vécu ça de façon joyeuse, passionnée, en étant surtout pas surpris de ce qui se passait parce que je savais que Julian avait préparé son coup depuis longtemps. Avec Thomas Voeckler, nous avions compris sa stratégie de ne pas faire le Tour à 100% pour se préserver pour ces Championnats du monde. Donc voilà, j’ai vécu ça depuis mon canapé, que j’ai vite quitté d’ailleurs, vu que j’étais debout à la fin en train de crier devant ma télé (rires). Tout le monde attendait ça depuis longtemps. Je pense aussi que ça faisait un bon bout de temps que Julian avait coché cette course. C’était un grand moment.
Selon votre avis d’expert, Julian Alaphilippe a-t-il l’étoffe d’un potentiel vainqueur du Tour de France ?
On en parlait ensemble hier (rires) ! Honnêtement je ne sais pas et je ne sais même pas si lui le sait. Il faudrait que toutes les planètes soient alignées un peu comme l’an dernier pour que ce soit possible. Mais même, il faudrait qu’il ait l’équipe pour, qu’il se prépare pour… Il a déjà réussi à prouver qu’il était capable au moins de faire un top 5, mais au-delà, cela me semble compliqué. Je pense qu’il y aura toujours en haute montagne ou en contre-la-montre, même s’il a remporté celui de Pau, des lacunes pour Julian. Je pense qu’il n’est pas un cycliste de grand Tour. Pour remporter la Grande Boucle, il faudrait qu’il coure à contre-nature, et même s’il a déjà montré qu’il pouvait le faire, je ne suis pas certain qu’il y arrive un jour. J’espère évidemment me tromper mais honnêtement je ne sais même pas si Julian en a tant envie que ça. Pour en avoir parlé avec lui, je pense que cet objectif n’est pas encore dans sa tête. Il a plutôt à l’esprit de remporter des classiques comme le Tour des Flandres, des courses de ce genre, pourquoi pas les Jeux Olympiques également. Pour synthétiser, je pense que ma réponse ne serait pas loin d’être la sienne : « pourquoi pas ? ». C’est un coureur surprenant avec beaucoup de classe. Il peut le faire mais je n’en suis pas persuadé.
Qui est la révélation 2020 du cyclisme mondial selon vous ? Tadej Pogacar… ou pas forcément ?
Je dirais Marc Hirschi. Tadej Pogacar, on le savait, il a fini troisième de la Vuelta en 2019. Hirschi a fait un Tour extraordinaire, des mondiaux de feu, un super Liège-Bastogne-Liège… C’est un coureur que nous, spécialistes, connaissions depuis son titre de champion du monde espoir il y a deux ans à Inssbruck. Sur ce Tour 2020, il a fait deuxième derrière Julian Alaphilippe à l’étape de Nice. C’est le seul à pouvoir le suivre. Il réalise aussi une grosse performance à Sarrance dans les Pyrénées. Pour moi, c’est lui la grosse révélation cette année au niveau du grand public.
Côté Français, quels sont pour vous les jeunes espoirs à suivre de près notamment pour cette prochaine saison 2021 ?
Benoît Cosnefroy ne fait plus partie de cette catégorie mais il va falloir le suivre encore. C’est devenu maintenant un coureur confirmé et je pense qu’il peut marcher sur les traces de Julian Alaphilippe. Parmi les jeunots, je surveillerais bien Clément Champoussin qui avait gagné une étape sur le Tour de l’Avenir il y a deux ans. C’est un jeune grimpeur français de chez AG2R La Mondiale et je pense qu’il y a beaucoup de talent chez ce garçon. Je compte bien garder un œil avisé sur lui la saison prochaine.
Qu’avez-vous pensé du tracé 2020 de la Grande Boucle dans cette année si particulière impactée par la pandémie mondiale de coronavirus ?
C’était un superbe Tour et un beau parcours avec des éventuelles attaques tous les jours. On se rend compte que quel que soit le tracé, ce sont les coureurs et les favoris qui décident, ou pas, d’enflammer la course. C’est resté assez verrouillé un certain temps avec la Jumbo-Visma qui contrôlait les débats. Niveau parcours, il n’y a rien à dire, c’était très beau. Le Col de la Loze était super, tout comme le Grand Colombier. Petit regret, j’aurai aimé plus de Pyrénées, je trouve qu’il n’y en a pas eu assez. Certains ne seront pas d’accord avec moi mais je ne m’arrête pas sur le parcours, c’est secondaire. Je pars du principe que ce sont les coureurs qui décident de dynamiter la course et d’offrir du spectacle. J’ai l’impression qu’en ce moment, peu importe le parcours proposé, les Jumbo-Visma, et avant eux les Ineos ou Sky, verrouilleront la course. Les explications de texte se font à chaque fois dans les derniers mètres ou kilomètres d’une ascension. Cela devient de plus en plus dur pour les organisateurs de trouver des solutions pour tenter de débrider la course. Malgré tout, il y a eu beaucoup de spectacle lors de cette édition 2020 avec notamment Marc Hirschi et Romain Bardet avant sa blessure.
A quoi ressemblera le Tour 2021 ? Vous pouvez nous faire un petit teasing pour faire saliver d’avance les fans de vélo ?
Il y a tout d’abord ce départ en Bretagne avec ce côté passion et tradition des Bretons pour le vélo. Pour moi, dans les moments forts à venir, il y aura cette double ascension du Ventoux qui promet d’être spectaculaire. Comme je le rappelle dans le livre « Cols de légende », il s’y passe toujours quelque chose. Le Ventoux c’est Simpson, c’est Merckx, c’est la course de Froome, c’est le contre-la-montre de Jean-François Bernard… C’est un endroit exceptionnel. Pour le reste, les Alpes ne seront pas très alléchantes pour 2021 contrairement aux Pyrénées que je trouve très belles, avec notamment cette étape de Luz Ardiden qui est une ascension magnifique avec le Col du Portet. Ce sera un moment fort du Tour mais je pense que son sommet aura lieu au Port d’Envalira. Il ne faut pas oublier également le passage en Andorre. Je suis également très content qu’il y ait du contre-la-montre, souvent décrié en France. En général, les gens n’aiment pas ça et estiment qu’il ne s’y passe rien. Quand on est un passionné comme moi de ce sport et de matériel, un contre-la-montre est toujours très intéressant à suivre. C’est bien qu’il y en ait plus pour le prochain Tour de France.