Pourquoi le sport est-il si exposé à la corruption ? Après tout, les enjeux économiques existent dans bien d’autres domaines. Oui, mais le sport est géré et pratiqué par des individus parfois fragiles et influençables. Des proies faciles pour le crime organisé.
Un milieu attractif pour le crime organisé. La profusion d’argent attire l’escroquerie et la corruption ; elle a également toujours attiré la criminalité organisée. Lors de l’atelier « L’industrie du sport et la corruption » organisé dans le cadre de la douzième Conférence internationale contre la corruption, en novembre 2006, M. Henri Roemer, de l’UEFA (Union européenne des associations de football), a résumé les conclusions d’un rapport qu’il a présenté à l’UEFA et qui devait conduire à des changements d’organisation. « Il n’y a pas de « mafias du sport », mais les mafias investissent dans le sport. Avec l’énorme potentiel de gains financiers qu’il offre et le niveau de professionnalisme en général assez bas dans l’administration des clubs, le football attire des activités criminelles telles que le trafic de jeunes joueurs, le blanchiment d’argent, les paris illégaux etc. Les malfaiteurs n’encourent qu’un faible risque et les systèmes de contrôle sont médiocres. Les joueurs sont le plus souvent jeunes et facilement influençables, et il suffit de corrompre un seul joueur clé pour acheter le résultat d’un match et gagner de l’argent grâce aux paris. Compte tenu de la dimension internationale des activités illégales dans le sport, les lois et les dispositifs nationaux ont souvent peu de chance de se montrer efficaces. Il existe en outre un vide juridique : même l’Union européenne a deux fois moins de pays membres que l’UEFA. Comme le trafic de joueurs, le blanchiment d’argent et la corruption ne laissent pas de trace sanglante, ils ont tendance à être relativement tolérés par la société. »
Des infractions souvent difficiles à poursuivre. Les actes de corruption dans le sport peuvent paraître relativement peu risqués. À de nombreuses reprises, des suspicions ou accusations n’ont abouti à rien et des sportifs traduits en justice ont été acquittés. Cela peut signifier qu’il n’y a pas eu corruption, mais aussi, comme le soulignent de nombreux militants anti-corruption, que la poursuite des faits de corruption dans le sport se heurte à de sérieux obstacles. L’un de ces obstacles tient aux arguments selon lesquels le sport serait une activité de loisir purement privée, si bien que les infractions dans le sport ne pourraient être poursuivies au regard du droit pénal, qui ne sanctionne que le manquement aux obligations de service public. Bien qu’il soit évident aux yeux de tous que le sport n’est pas qu’une activité privée et qu’il a un rôle public, cela reste à prouver à chaque cas.
Une présence de la corruption jusque dans le sport amateur. Nous pourrions supposer que la corruption dans le sport ne se manifeste qu’au plus haut niveau professionnel. Cependant, plusieurs faits tendent à montrer que le sport amateur de faible niveau réunit, lui aussi, plusieurs conditions favorables à la corruption. Le sport amateur est en effet souvent de nature amicale, avec des pratiques assez libres en matière de comptabilité, de gestion du budget, de transparence et de consignation par écrit des opérations réalisées. Chacun ayant l’impression que tout est fait pour une bonne cause, la tendance à exiger un strict respect des règles est bien moindre que dans une entreprise. Cette situation peut former un terreau vulnérable aux tentatives de corruption.
Une prise de conscience tardive de par la nature supposée «propre» du sport. Il est difficile d’admettre que le sport n’est pas « propre ». Les autres activités liées à la criminalité organisée sont habituellement purement criminelles (trafic de drogues, traite des êtres humains), réprouvées par la société (prostitution) ou plus généralement perçues comme « douteuses » (ventes d’armes) ou, au moins, comme neutres (passations de marchés publics). Le sport est généralement perçu comme « propre » : il évoque des valeurs sociales positives. Il est donc moins considéré comme appelant une réglementation juridique ou des contrôles financiers plus stricts. En raison de ce lien avec des valeurs élevées, les affaires de corruption dans le sport sont facilement vues comme des actes isolés, commis par quelques individus sans scrupules. Elles seraient la conséquence d’une faille imputable à une personne, et non au système ou à l’environnement sportif dans son ensemble. Dans de nombreux cas, cette interprétation est la bonne, mais il arrive aussi qu’elle soit utilisée pour masquer des pratiques de corruption délibérées.
Une auto-réglementation et un manque de démocratie au sein des instances sportives. L’un des facteurs présentés comme source de corruption dans le sport est le caractère fermé et familial des organisations sportives, et en particulier des fédérations internationales. On parle souvent de « la grande famille du sport » pour décrire les relations cordiales qu’entretiennent les sportifs entre eux. L’expression renvoie au partage de valeurs et d’expériences communes. Elle peut cependant avoir une autre connotation, à savoir la fermeture au monde extérieur. Le terme de « famille » renvoie aussi à la mafia et aux principes d’omerta, de discrétion, de loi du silence. La corruption, lorsqu’elle est présente dans un organisme, est très difficile à dévoiler, à analyser et à décrire de l’extérieur. Les personnes extérieures ne parviennent tout simplement pas à obtenir les informations nécessaires, et il est rare que des membres de la « famille » donnent l’alerte. Sepp Blatter, le président de la FIFA, bien avant d’être inquiété par les derniers rebondissements que l’on sait avait en son temps déclaré : « On ne s’adresse pas à des étrangers. Si on a des problèmes en famille, on les résout en famille ».